telechargement-copie-26Un homme a deux corps : l’un danse à l’intérieur de son cerveau, l’autre est un paquet humide, chair solide dans un pâle emballage de peau humaine. Russel BANKS 

Au cœur du conflit nord-irlandais, un militant de l’IRA disparaît mystérieusement. Vingt ans plus tard, son fils, Paul Goodman, se fait embaucher aux abattoirs de la région. Il pénètre un univers baigné de sang, gouverné par des êtres violents. Une cathédrale impie de la mort, un étrange miroir des fantômes dont il est lui-même prisonnier et que son arrivée va libérer… 

Ouvrir un ouvrage de Sam Millar c’est comme monter sur un ring pour affronter Mike Tyson. On prend des coups, on finit KO, et on n’en ressort pas indemne. 

D’abord il y a Shank, le maître de l’abattoir. Une sorte de demi-dieu dans son propre regard, un tyran capable d’une brutalité inouïe dans le regard des autres. Il trône au dessus de cette montagne de chair et de carcasse traversée par des rivières de sang. Il distribue les coups et les encouragements, il organise les mises à mort, mais pas seulement des vaches… Et il y a ses deux filles Geordie et Violet.

Geordie d’une beauté incroyable malgré son handicap qui l’oblige à porter un appareillage de cuir et d’acier pour tenir debout et se mouvoir. Elle est chef d’équipe aux abattoirs. Violet, secrétaire aux abattoirs. Une harpie nymphomane, hystérique, elle peut être le bras armé de son père pour infliger la souffrance. 

Paul Goodman le bien nommé et son cousin Lucky, le mal nommé. Paul va tomber amoureux de Geordie et déclencher les foudres de Violet . Lucky va être le  témoin d’un meurtre. Et les flammes de l’enfer vont se déchaîner. 

Enfin, Mr Kennedy. Un vieillard qui tient une boutique de prêteur sur gage. Mr Kennedy va se mêler à cette sarabande Dantesque, y voyant le moyen de gagner une rédemption hypothétique, le pardon d’une faute commise dans le passé. 

Pourquoi avoir choisi ce roman plutôt qu’un autre de Sam Millar ? Parce qu’il est une magnifique allégorie de l’Irlande après le traité de paix avec l’Angleterre, un pays exsangue, meurtri, boiteux (comme Geordie) livré aux restes de cette guerre fratricide que sont les mafias se nourrissant de la dépouille d’une nation capitulante (Shank) et ne laissant derrière que le terreau du chômage et de la misère. Et les regrets….les fautes. Quand l’Irlande atteindra le pardon ? 

C’est l’Enfer qui se déploie sous nos yeux, un enfer pas près de s’éteindre même s’il y a une lueur d’espoir. L’écriture est magnifique, une écriture qui ne mérite aucune pause de lecture.
On plonge pieds et poings liés, comme Paul Goodman, suspendu par les pieds en guise de punching-ball. Plein la gueule du talent de l’auteur et plein la gueule de l’histoire, mais l’Histoire avec ce grand H. Énorme vous dis-je, vous lisez, on en parle.