« La racine indo-européenne « kreu » exprime les notions de « chair crue » saignante, du « sang répandu ». En latin « cruor » signifie « le sang répandu » crudus « saignant, « crudelis » qui se plait dans le sang, qui est cruel ». Dominique Cuppa
Passionnant que de lire l’ouvrage de Fabio Mitchelli sous cet éclairage. Car, nous y reviendrons un peu plus loin, il est effectivement question d’une cruauté insatiable, d’une recherche de sensations qui pose la question d’une « humanité particulière » en devenir. D’un désir de tenir une place dans la société même si celle ci est fortement déviante, je parle de déviance autant pour l’auteur de ces crimes de sang que de la société qui l’environne.
Nous sommes au tout début des années 80, période pour ma part bénie dans le monde de l’art et de la débauche, tout est permis dans ce domaine, le punk a déjà fait les ravages que l’on sait dans l’establishment, Andy Warhol est allé jusqu’au bout de sa perception de l’art répétitif et l’Amérique n’a toujours pas pansé ses plaies, si toutefois elle puisse un jour le faire. La route est ouverte, joignons nous au chaos ambiant, les « mass murder » arriveront bien assez tôt après que la psychose se fut bien installée, que l’empire médiatique s’en soit mis plein les « UNES » grâce à ces monstres que la société fabrique.
« L’excitation sexuelle peut être l’un des éléments inducteurs; la co-excitation accompagne l’orgie narcissique, mais l’expression « crime sexuel » me semble impropre. Ce ne sont pas des crimes de la sexualité. C’est une violence beaucoup plus primitive qui s’empare de l’appareil sexuel. » Daniel Zagury, psychanalyste.
Je ne suis pas arrivé à trouver chez Blake une forme avérée de jouissance sexuelle mais bien plutôt un appétit de jouissance jamais satisfait, et comme le formule très bien Fabio dans cet ouvrage une escalade de désirs conduisant irrémédiablement à la capture. Blake ne peut plus exister dans l’ombre, il perpétue des mouvements, s’invente un fétichisme de pacotille, il recherche un sens à ses actes, le seul sens étant « regardez moi ».
« Ces crimes sont réalisés à partir d’une rencontre particulière, primitivement caractérisée par le sentiment inconscient d’envie. La victime possède un principe vital dont ils sont fondamentalement privés dans leur perception intuitive. » Daniel Zagury
Blake est quelque part le héros de lui-même, un artisan de mythe, un homme en pleine solitude, un homme en manque de chaleur, un homme en manque des premiers soins qu’on accorde aux nourrissons, en manque d’affection puis en manque de reconnaissance. Un homme manqué en quelque sorte. Ce qui m’invite à vous communiquer toute la compassion que j’ai ressenti pour ce personnage, jamais détestable malgré ses crimes abjects, sa souffrance m’a ému, son dernier geste de compassion m’a ému, il en sort grandi et c’est là sa seule participation à l’humanité.
« A la mise en acte des premiers meurtres succède la mise en scène des suivants : mais c’est sur la scène du monde et non dans un scénario psychique que la réactivation hallucinatoire des traces perceptives s’actualise. Le monde entier peut fantasmer, pas eux. » Daniel Zagury
Blake est un témoin et un acteur de l’actualité, il fait marcher le monde, il participe à ce principe fondamental, il faut des méchants, sans doute les pires pour que chacun oublie ses erreurs, ses disgrâces, parfois son incapacité à obtenir une place dans notre société, il est le Mal, celui qui nous ramène à notre « réalité », celle d’être un homme normal, on construit cette réalité dans l’ombre de ces monstres.
Fabio MITCHELLI a pris un tournant dans son oeuvre, je ne peux que l’en féliciter, débarrassé de toute référence d’inspiration, il construit un magnifique roman à cheval entre le documentaire et le romanesque avec une précision d’écriture et un sens du rythme qui laisse le lecteur pantois. J’ai voulu aborder cette chronique sous l’angle de la psychanalyse, bien que je n’ai pas à le justifier, parce que c’est un monde dans lequel j’évolue et ensuite parce que je trouve ce roman assez exceptionnel pour ne pas avoir à répéter comme beaucoup que c’est génial, où en serait le monde si nous ne lisions que des auteurs géniaux ? Je préfère dire que c’est l’aboutissement d’un immense travail qui ne porte aucunes références, donc une oeuvre unique.
Ce roman est nominé pour le Prix Dora-Suarez le 29 novembre 2014.
Toutes les citations sont extraites de La Revue Française de Psychanalyse N°4. Un grand merci à Daniel Zagury pour son article sur les serial-killers.
Retrouvez les chroniques de Fabio M. MITCHELLI :
Une forêt obscure
Dolly’s Bible (avec Stéphane MARCHAND)
Transferts
Le cercle du chaos
La verticale du mal
A la verticale des Enfers
La verticale du fou
Et son interview pour l’émission Cross the line !
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