Le jazz est un phénomène durable parce qu’il exprime notre époque, le rythme énergique et endiablé d’une époque hyperactive… Léopold STOKOWSKI, 1924.
1928,
Chicago est la citée de tous les contrastes. Du ghetto noir aux riches familles blanches, en passant par la mafia italienne tenue par Al Capone, la ville vit au rythme du jazz, de la prohibition et surtout du crime, que la police a du mal à endiguer.
C’est dans ce contexte troublé qu’une femme appartenant à l’une des plus riches dynasties de la ville font appel à l’agence Pinkerton. Sa fille et le fiancé de celle-ci ont mystérieusement disparu la veille de leur mariage. Les détectives Michaël Talbot et Ida Davis, aidés par un jeune jazzman, Louis Armstrong, vont se charger des investigations.
Au même moment, le corps d’un homme blanc est retrouvé dans une ruelle du quartier noir. Le meurtre en rappelle un autre à Jacob Russo, photographe de scènes de crime, qui décide de mener son enquête. Quel est le lien entre ces deux affaires ? Y a-t-il un rapport avec le crime organisé ? Car la vieille école d’Al Capone, celle de la contrebande d’alcool, est menacée par de jeunes loups aux dents longues qui, tels Lucky Luciano ou Meyer Lansky, n’hésitent pas à se lancer dans le trafic de drogue.Jazz, mafia, tensions raciales et meurtres inexpliqués.
Nous sommes à huit mois avant le massacre de la St Valentin qui scellera la guerre entre Al Capone et Bugs Moran. Un monde s’écroule, la prohibition de l’alcool n’en a plus que pour quelques mois, voire deux années, le trafic de drogue s’installe sur ces bases, les réseaux, les transports qui sont moins coûteux, et surtout l’addiction multipliée par x.
Nous vivons un changement d’époque chez les gangsters et surtout nous découvrons que le jazz, né à la Nouvelle Orléans sur des bases terriennes deviendra une musique représentative de la ville de la cité et de tous ses travers. Nombreux s’y perdront. Mais revenons à cet ouvrage passionnant qu’est Mascarade.
Un pur roman de gangsters pendant la prohibition, qui retrace la fin de l’empire d’Al Capone. En effet Capone restait accroché à ce qu’il avait créé, c’est à dire la contrebande d’alcool, il n’a pas anticipé sur la fin de l’interdiction de commercialiser de l’alcool ce qui allait signifier sa chute. Mais Capone ne pouvait imaginer que son empire pouvait s’effondrer, confit qu’il était dans une autosatisfaction, un égo surdimensionné, une consommation de plus en plus importante de cocaïne et des troubles envahissants de sa personnalité liés à la syphilis. Le massacre de la St Valentin signa sa fin, arrêté en 1931, relâché 8 ans plus tard il mourut en 1947, ruiné par sa maladie, invalide avec l’âge mental d’un enfant.
Les détectives Ida Davis et Michaël Talbot qui enquêtent dans ce roman sur la disparition de la riche héritière Gwendolyn Van Haren et de son fiancé sont des “Pinkertons”. L’agence Pinkerton a été créée par Allan Pinkerton en 1850 pour répondre à la pénurie de représentants de la loi dans les contrées reculées du Far West puis à partir de 1877 elle s’est mise au service du patronat pour briser les mouvements syndicaux.
Par exemple lors d’une grève à Chicago, les Pinkertons organisent une confrontation violente avec les forces de l’ordre qui provoquera le massacre de Haymarket Square, nous sommes le 3 Mai 1886 et cet événement sera à l’origine des mouvements de grève internationaux du 1er Mai. L’été 1917 à Butte, Montana, les Pinkertons sont à l’origine du lynchage du leader syndical Frank Little pendant la grève des mineurs. Ida Davis et Michaël Talbot ne font pas partie de cette mouvance, ils enquêtent afin de saisir la justice, face à diverses pressions ils y perdront leur carte de détective.
Louis Amstrong est né le 4 août 1901 à la Nouvelle Orléans, il décède le 6 juillet 1971 à New York. Après une enfance tumultueuse, il est placé de foyer en foyer pour “enfants noirs difficiles”. Il intègre une chorale puis rencontre une famille juive qui le prend sous son aile et lui offre sa première trompette qu’il rôdera dans diverses formations locales. Il part pour Chicago en 1922 – le roman débute à son arrivée à Chicago – il intègre plusieurs orchestres de jazz avec qui il enregistre ses premiers disques. La ville est devenue la capitale du jazz New Orléans et Louis triomphe avec ce fabuleux morceau dont l’introduction sera qualifiée d’exceptionnelle : West End Blues.Je cite l’auteur :
“… la structure du roman copie celle de l’enregistrement de West End Blues… On peut donc dire que mon roman est presque structuré comme le morceau.”
D’où l’importance de la présence d’Armstrong au cœur du récit.
L’un des moments fort du livre est le match de boxe opposant Gene Tunney à Jack Dempsey pour le titre de Champion du Monde. Le chapitre consacré à cet événement est construit comme un opéra baroque sur fond du brouhaha de la foule qui a rempli les gradins du stade de Soldier Field.
Alors que les plus grandes stars de tous horizons tels Charlie Chaplin ou Douglas Fairbanks Jr assistent au combat, que Al Capone a réservé une quantité considérable de place dans les premiers rangs en bord de ring pour inviter tous ses amis, ses associés, son clan, un attentat à la bombe est prévu pour éliminer Capone et sa “famille”.
Ida Davis va tout faire pour empêcher ça et se lancer à la poursuite jusqu’en haut des gradins d’un tueur à la solde de Bugs Moran. Le combat sera impitoyable aussi bien dans le ring qu’au sommet des gradins. Ida laissera une partie de son enveloppe corporelle sur les projecteurs chauffés au rouge et devra combattre à l’aveugle pour récupérer un 38 tombé au sol.
Sans oublier le personnage de Dante, envoyé par la mafia de New York. Dante, personnage ambigu jouant sur tous les tableaux pour sauver sa peau, tentant vainement de lutter contre son addiction à l’héroïne. Dante qui offre au lecteur un splendide gunfight dans les rues de Chicago digne d’un Francis Ford Coppola et son sens de l’orchestration.
Je cite à nouveau l’auteur :
“Mascarade est le deuxième volet d’une série de quatre ouvrages retraçant l’histoire du jazz et de la mafia pendant cinquante ans au XXe siècle. Selon un procédé inspiré par l’Oulipo, chacune des quatre parties présente une ville, une décennie, un morceau, une saison, un thème et des conditions météorologiques différentes. La troisième partie sera situé dans les années 1940 à New York et à l’automne. Le temps et le morceau ne sont pas encore décidés, même si “Autumn in New York” semble un choix évident. Peut-être trop. Nous verrons. Les principaux personnages des deux premiers ouvrages réapparaîtront dans les deux suivants.”
Ludovic FRANCIOLI
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