Raymond : Bienvenue dans cette émission de « Conversations dans le monde entier. » Je suis Raymond Arroyo. Nous sommes très heureux de vous donner la chance de revivre certaines de mes conversations les plus intéressantes de ces 19 dernières années en tant qu’hôte de cette émission. Ce soir j’aimerais vous parler de l’un de mes auteurs favoris : le célèbre auteur de la Louisiane : James Lee Burke. Burke a remporté 2 prix Edgar-Allan-Poe, ce qui est peu courant et est une sorte d’oscar décerné par l’association Mystery Writers of America. Il est toujours au sommet de son art, publie un livre par an, et ils sont spectaculaires. Le succès n’a cependant pas toujours été facile à atteindre. Pendant 14 ans, il a subi le rejet incessant, en plus d’avoir lutté contre l’alcoolisme. En lui rendant visite dans sa résidence Nouvelle Ibérie, en Louisiane, j’ai pu apprendre que la foi et l’histoire de ce grand auteur américain lui ont permis de surmonter les obstacles majeurs et créer d’incroyables œuvres littéraires. Voici la première partie de ma rencontre exclusive avec James Lee Burke.

Dans ses œuvres de Burke, le bien, le mal, le passé, le présent se rencontrent ici sur les rives des Bayous Teshe. C’est dans ce petit village, où ses ancêtres se sont installés depuis le début des années 1800, que Burke trouve sa source d’inspiration pour ses 22 romans historiques et policiers, et plus particulièrement sa série renommée, mettant en scène le shérif Dave Robicheaux. En traversant les rues de la nouvelle Ibérie, l’impact de la fiction de Burke est palpable, ainsi que son attachement à ce lieu.

James : Le passé est visiblement présent ici. Quand j’étais petit, mon père m’emmenait a la chasse aux balles Miniés, utilisées dans des armes de calibre 58 par les soldats de l’Union et ceux de La Confédération lors de la guerre de sécession.

Raymond : Les souvenirs abondent.

James : Ma famille vivait juste là-bas, dans les Bayous. Au pied de la propriété de ma tante, il y a deux chênes aux emplacements ou il y avait des chaines d’amarrage, utilisés par le pirate Jean Laffite.

Raymond: Et puis il y a eu l’oncle qui a représenté une femme répugnante au tribunal.

James: Et elle ressemblait a “la sorcière du Buchenwald”. Ce que je veux dire, c’est qu’elle était horrible à regarder – un pot de peinture, des bagues en toc plein les doigts, un visage a faire peur, un chapeau pleins de plumes. Elle était assise la, a moitié bourrée, répandant son odeur corporelle et de l’alcool dans toute la pièce. [Rires]. Oncle Portis s’est dirigé vers les membres du jury, une expression sombre sur son visage, et a dit : « Mesdames et Messieurs les jurés, cette pauvre femme est la mère de quelqu’un ! ».

[Rires de Raymond]

James : Ils étaient bouche bée et a gagné le procès ! « La mère de quelqu’un ! »

[Rires de James et Raymond]

Raymond : C’est donc dans la famille depuis longtemps de savoir tourner les choses à son avantage.

James : Eh oui, nous le faisons depuis très longtemps.

Raymond : Et à l’âge de 66 ans, James Lee Burke continue. Il écrit 1000 mots par jour, sans plan, filant histoires intrigantes et fiction Catholique au réalisme cru.
Quand avez-vous réalisé pour la première fois que vous pouviez écrire, que vous étiez un auteur et que c’était ce que vous étiez supposé faire ?

James : J’ai commencé à écrire des nouvelles quand j’étais en CM2. Un peu plus tard, mon cousin Andre Debus est devenu ma motivation, et vice versa. Andre a remporté la première place du « Concours d’auteur du Collège de Louisiane » en 1954. A ce moment-là j’ai pensé « il ne va s’en tirer comme ça ».

[Rires de Raymond]

James : Et l’année suivante, j’ai participé au même concours et j’ai remporté une mention d’honneur. Mais pour moi, c’était un grand accomplissement.

Raymond : Racontiez-vous des histoires dans votre famille ? Aviez-vous entendu des histoires de famille ? Etait-ce l’influence de votre vie en Louisiane ?

James : Je ne sais pas si c’est une tradition familiale ou non. Il y a plusieurs auteurs dans la famille. Bien sûr, Andre est surement, pour moi, le plus grand auteur américain de nouvelles et je pense que la plupart des auteurs de littérature le pensent aussi.

Raymond : Je suis d’accord.

James : Je pense que son travail n’a pas reçu de l’attention pour les bonnes raisons mais uniquement lorsqu’il a été gravement accidenté.

Raymond : Il a été fauché par une voiture alors qu’il aidait un piéton à traverser et a perdu ses deux jambes, c’est bien ça ?

James : Oui et il est toujours en chaise roulante depuis. On n’a pas pu lui faire de prothèse. Et il a écrit beaucoup d’essais sur cette épreuve difficile. Ce sont de bons essais mais ils n’arrivent pas au niveau des nouvelles qu’il avait écrites avant. Notre ancêtre, oncle Willy, qui est le personnage principal dans « White Doves at Morning » était un écrivain lui aussi. Donc, je ne sais pas. Peut-être que notre passion pour l’écriture vient un peu de lui.

Raymond : Parlez-moi de vos parents. Votre mère était secrétaire.

James : oui c’est ça.

Raymond : Votre père était ingénieur dans le gaz ?

James : Oui, ingénieur dans le gaz naturel.

Raymond : Quelle a été leur influence ? Ont-ils eu une influence quelconque dans votre quête pour la littérature et l’écriture ?

James : Mon père a toujours voulu devenir journaliste et historien mais il a commencé à travailler dans les canalisations dans les années 20 et puis la Grande Dépression est arrivée. Et en 1930, si vous aviez un travail, vous n’alliez pas chercher ailleurs. Vous ne l’échangiez pas contre quelque chose d’autre. Il a travaillé dans les canalisations jusqu’à sa mort en 1955.

Raymond : Et vous avez vraiment tout fait, enfin je veux dire vous avez suivi les pas de votre père. Vous avez travaillé sur une plateforme pétrolière, vous êtes devenu routier dans le Kentucky, vous avez travaillé dans les bas-fonds de Los Angeles et vous avez été prof.

James : Oui.

Raymond : Je sais qu’il en manque 1 ou 2. Qu’elle est la pire chose que vous ailliez faite ?

James : Eh bien, j’ai fait quelques petits boulots que les gens se retrouvent à faire lorsque la légion n’a pas voulu d’eux ou qu’ils ont subi un choc.

[Rires de Raymond]

Raymond : Mon pressentiment lorsque je lis votre travail est que tout ça a été comme des expériences, une analyse de ces différentes professions et la psychologie des personnes qui les pratiquent. C’est vrai ?

James : Je pense que l’expérience la plus enrichissante était dans les bas-fonds du Sud de Los Angeles où je vivais et travaillais en tant qu’assistant social. J’ai vraiment beaucoup appris.

Raymond : De quelle manière ?

James : J’ai appris la réalité d’une comparée aux apparences. Je me rappelle le titre d’un livre connu de Michael Harrington, L’Autre Amércain. À Los Angeles, l’écart entre les riches et les pauvres est surement le plus visible d’entre toutes les villes. D’un côté, le lieu brille comme Babylon, éclairé par les néons sur les quais de Santa Monica et les Palissades et d’un autre, au cœur de la ville de Los Angeles vous trouvez le pire.

Raymond : Vous avez écrit durant toute cette période. Comment avez-vous pu écrire au milieu de cette zone de guerre où les gens se battent pour survivre et en étant le témoin d’une telle tragédie et de tant de misère partout autour de vous ? Ou alors est-ce que ça a été une source d’inspiration ?

James : J’ai appris beaucoup de choses à cette époque. Mais vous avez raison, c’est difficile d’écrire lorsque vous avez un boulot qui vous occupe émotionnellement et intellectuellement pendant 8 heures par jour. C’est difficile de rentrer à la maison et de recommencer à taper sur la machine à écrire. Et c’est comme ça que je me suis rendu compte que le pire boulot que j’ai pu faire en tant qu’écrivain de fiction était de travailler pour un journal. La première personne que j’ai entendu dire ça était Nelson Algren il y a plusieurs années. Il est venu visiter l’école dans laquelle j’étais et avait dit : « Non seulement travailler pour un journal te sape le moral, mais en plus tout est fragmenté. Il n’y a pas de suite logique, et ce n’est pas possible de rentrer le soir et bien écrire ».  Ou écrire tout court, après l’avoir fait toute la journée dans son bureau. Le meilleur boulot que j’ai eu a été de travailler dans les canalisations parce que votre esprit est libre toute la journée.

Raymond : Et ensuite vous avez publié vos 2 premiers romans. 34 ans et 2 succès littéraires exceptionnelles.

James : Oui.

Raymond : Et par la suite ?

James : En fait j’ai écrit mon premier roman à 23 ans, La Moitié du Paradis. Ça m’a pris 5 ans pour qu’il soit imprimé. J’ai toujours eu plus de facilités à écrire qu’à publier. Mais j’ai eu une critique de 6 colonnes dans le New York Times. C’était une très bonne critique, la première et la meilleure que je n’ai jamais reçue. A ce moment-là, j’ai pensé « c’est plutôt pas mal ».

Raymond : Oui, j’imagine.

James : Que vont ils faire d’autre pour moi ?

[Rires de Raymond et James]

Et ensuite j’ai publié Vers Une Ombre Radieuse. J’ai écrit 2 autres livres que je n’ai jamais publié. Mon troisième livre Déposer Glaive et Boucliers n’a pas eu autant de succès. Mais j’ai touché le point de non-retour avec mon quatrième livre Le Boogie Des Rêves Perdus. Je pensais que ce livre aurait ses chances et que je publierai, mais à la place, il m’a fallu 14 ans avant de pouvoir relancer ma carrière. Ce livre a été rejeté 111 fois. Mon éditeur, Philip Spitzer, que j’ai rencontré lorsqu’il était chauffeur de taxi le jour à Hells Kitchen et s’occupait de sa propre agence la nuit, a essayé de soumettre ce livre pendant 9 ans. Puis nous avons décidé que nous les aurions à l’usure.

Raymond : Et c’est ce qui est arrivé.

James : Ce livre a été publié par les éditions de Louisiana State University Press, avec la collection d’histoires appelées Le Bagnard. Et c’est ce qui m’a permis de revenir en scelle. Je leur dois vraiment une dette que je n’ai jamais été capable de leur payer.

Raymond : Comment avez-vous vécu ces 14 années de vide ? Comment est-ce que vous avez réussi à écrire pendant ce temps ?  Et qu’est-ce que votre pauvre femme en pensait ?

James : Eh bien, c’est elle qui me poussait à envoyer un manuscrit à LSU mais je ne l’ai jamais fait. J’ai enfin écouté ma femme et elle avait tout à fait raison. Je n’ai cependant jamais cessé d’écrire. Je ne peux pas imaginer ne pas écrire. J’ai dû réapprendre pendant ces 14 années une vieille leçon : il faut faire une chose à la fois. Il faut le faire pour rendre le monde meilleur, si vous pouvez. Ne jamais perdre la foi en la force supérieure. J’ai connu un théologien franciscain, un de mes amis proches, qui m’a dit quelque chose que je n’ai jamais oublié : « Vous ne suivez jamais les résultats mais le résultat prendra soin de lui-même ». Et puis il m’a parlé d’une chose sur la théologie catholique que je n’avais jamais entendu, appelée « L’option fondamentale ». Il m’a dit : « lorsque tu choisis l’option fondamentale, tu choisis le bien par dessus le mal dans ta vie. » et puis il a dit « à partir de là, tu ne compares plus ta vie ou ta carrière par rapport à une période ou a des événements passés. », « ces choses vont s’effacer d’elles-mêmes. » Il a dit : « A la place, tu te concentres sur le batteur et chacun de ses lancés et à la fin de la 9ème manche, tu te retournes et tu es agréablement surpris par les chiffres sur le tableau d’affichage.

[Rires de Raymond et James]

Bon, je n’ai jamais oublié ces mots mais ce théologien était Franciscain dans un lycée au Kansas et était quelqu’un d’assez remarquable, et aussi un joueur de baseball.

Raymond : J’avais cru comprendre oui [rires].

James : et il était aussi prêtre. Hemingway le dit lui-même : « si vous les croyez lorsqu’ils vous disent que vous êtes bons, vous devez les croire lorsqu’ils vous disent que vous êtes mauvais. » Et ils m’ont dit que j’étais nul pendant 14 ans. [Rires]

Raymond : Et durant ces 18 années vous buviez beaucoup.

James : Je buvais avant. Je suis dans un groupe de soutien aujourd’hui et j’ai été dans ce groupe depuis 25 ans. J’ai eu une belle vie.

Raymond : A quel point êtes–vous tombé bas ?

James : C’est comme une excursion dans un autre monde. Un monde que les mots ne peuvent pas vraiment décrire. A moins qu’une personne soit entrée dans cette sorte de tunnel et ait réussi à en sortir, elle ne comprendra pas. C’est comme utiliser le Sanskrit. Je ne dis pas ça pour que d’autres le fassent.

Mais bien souvent, les gens qui ont des problèmes avec l’alcool ou la drogue ou peu importe ce que ce soit, poussent leurs limites jusqu’à toucher le fond et ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils se reprennent en main.

Mais comme je l’ai dit j’ai eu beaucoup de chance. Et, évidemment, lorsque j’ai commencé à écrire l’histoire de Dave Robicheaux ça avait vraiment à voir avec le rétablissement de Dave Robicheaux lui-même et j’ai commencé à vouloir écrire 3 livres qui deviendraient, enfin que j’espérais qui deviendraient, une trilogie. C’était comme un défi à la Milton.

Raymond : D’accord.

James : Le Paradis Perdu et je l’ai regagné. Je n’ai jamais pensé que les livres auraient autant de succès. Je les ai juste écrits comme ça.

Raymond : Je sais que votre foi a joué dans votre convalescence. Parlez-moi un peu de ça, comment est-ce que ça vous a rapproché de l’Eglise ?

James : Tous les programmes de soutien sont basés d’une façon ou d’une autre, ou du moins ce que j’en sais, sur la croyance en une force supérieur. Pour moi il s’agissait de réapprendre ce concept de force supérieur. Donc on pourrait dire que j’ai recommencé depuis le début avec ce groupe d’aide. J’ai aussi appris beaucoup de choses de l’Eglise Catholique qui sont des faits historiques et qui définissent l’Eglise beaucoup mieux que certaines modes contemporaines. Si vous lisez Eusebius – et je pense qu’il est un de historiens les plus fiables et aussi un contemporain des personnes sur lesquelles il écrivait – il décrit l’organisation de l’Eglise d’une manière plus simple que d’autres qui ont été faites. Mais ses principes sont basés sur les principes qui ont toujours donné à l’Eglise une conscience sociale. Comme par exemple, la protection des pauvres, et aussi l’interdiction d’enlever la vie à qui que ce soit. Lors de la période de l’Eglise primitive, datant de la première partie du 4ème siècle, aucun Chrétien ne pouvait participer aux combats d’animaux ou même servir dans l’armée romaine. S’il servait dans l’armée il devait avoir un rôle pacifiste.

Raymond : D’accord.

James : Souvent en tant qu’ingénieur (exemple de rôle pacifiste). Mais l’interdiction de retirer la vie n’était pas négociable. Mais vous voyez, on oublie que l’Eglise primitive avait des paramètres. Ce n’était pas des paramètres mais des limites très strictes. Vous ne preniez pas la vie de quelqu’un. C’est aussi simple que cela.

Raymond : Diriez-vous que la foi vous a aidé à voir ces choses plus clairement que si vous n’en aviez pas ?

James : Oui, je pense qu’un écrivain qui écrit dans une tradition Catholique, ou même en dehors de cette tradition, s’il en fait bon usage, il obtient un énorme avantage face à ses confrères.

Raymond : De quelle manière ?

James : La chronologie historique de l’Eglise et l’accès à l’iconographie chrétienne sont un symbole du monde occidental des 2000 premières années de l’histoire de l’Eglise. Pour le dire d’une autre façon, on peut utiliser les œuvres de Michelangelo et Botticelli et Leonardo, les œuvres d’auteur comme Chaucer, Boethius, Peter Anselm, Ausgustine. Ces gars n’étaient pas fainéants.

[Rires de Raymond et James]

Raymond : Votre cousin, Andre Debus, a dit « je suis un auteur Catholique. Je cherche toujours quelle question éthique me poser. »

James : Oui.

Raymond : Vous rejoignez son opinion ?

James : Bien sûr. Je le dirai d’une autre manière : « je suis un auteur, qui se trouve être Catholique. » Mais j’ai parlé à mon bon ami, Fr. Jim Hoganat Christ the King, notre paroissien en Montana, et il m’a beaucoup complimenté. Il m’a dit, « je viens juste de finir ton nouveau livre. Tu es l’auteur le plus catholique que je connaisse. Tu respires le catholicisme. »
Mais plus sérieusement, on trouve des auteurs qui mettent leur sensibilité catholique en avant dans leur travail et qui parait évidente au niveau de l’esthétisme. Je dirais que Ron Hanson en est un très bon exemple. Vous voyez, Ron Hanson est probablement l’un des meilleurs écrivains de la langue anglaise. Ne pas le reconnaître serait comme chercher Babe Ruth au milieu du stade des Yankee et ne pas le voir. Ce gars est un monstre !

Raymond : Je l’ai reçu ici 2 fois auparavant.

James : oh vraiment ?

Raymond : Et de vous avoir vous et Hanson dans cette émission…

James : Ah, c’est une bonne personne. Ron et moi sommes de très bons amis, nous l’avons été depuis des années.

Raymond : Il est génial.

James : Mais Graham Greene, en est un autre, vous voyez. Graham green est troublé par ce qu’il a vu durant la période coloniale, quel est le titre déjà ? « l’Américain… »

Raymond : Un Américain Bien Tranquille.

James : Un Américain Bien Tranquille, quel livre ! Wow !

Raymond : Oh oui !

James : Vous voyez et vous lisez des hommes comme Debus et …

Raymond : O’Connor.

James : Et Flannery O’ Connor. Elle a eu une grande influence sur moi. F. O’Connor est l’un des meilleurs auteurs du 20e siècle.

 

Raymond : De quelle manière ?

James : La manière dont elle décrit le jardin de Gethsemane et Golgotha, ces humbles gens. Où est-ce que c’est déjà, à Milledgeville ?

Raymond : Milledgeville en Géorgie.

James : Oui, et je pense qu’à Milledgville il y avait un camp de travail pénal, où les hommes portaient des chaînes, ainsi qu’un hôpital psychiatrique. Et je parie que beaucoup de ses personnages et leurs histoires viennent…

Raymond : D’un mélange de ces 2 endroits.

James : C’est ça.

Raymond : Parlons un peu de votre travail. Plus particulièrement, diriez-vous que ce sont des analyses de la souffrance humaine ?

James : Je pense oui. Et pour moi c’est l’aspect le plus troublant de l’expérience humaine et particulièrement celle qui puisse exister de nos jours. C’est juste très troublant. Je suis vraiment préoccupé pour le monde dans lequel nous vivons et la façon dont nous nous sommes habitués à la souffrance du tiers monde.

Raymond : On ressent ce sentiment d’inquiétude dans vos écrits, et plus particulièrement dans Jolie Blon’s Bounce. On peut se faire une idée dans ce livre. Dave Robicheaux est plus cynique et plus en colère que jamais. Est-ce que vous ressentez ça ? James Lee Burke serait-il lui-même plus cynique et en colère que jamais ?

James : Non, je ne suis pas cynique mais je pense qu’il y a une différence entre le cynisme et observer le monde tel qu’il est. J’utilise ces paroles de Jésus comme une règle : il disait : « si le monde me rejette moi, que pouvez-vous en attendre ? ». C’est une déclaration plutôt sombre mais il disait dans les faits qu’il ne fallait pas attendre les autres pour accepter son message.

Raymond : Je voudrais revenir un moment sur Dave Robicheaux. Il est le héro de votre série pour ceux qui ne seraient pas familiers avec vos romans.

James : Oui.

Raymond : C’est un ancien alcoolique, en sevrage. Il est Catholique. Il vit en New Iberia et il a une fille qui porte le même prénom que votre fille.

James : C’est ça.

Raymond : Comment et d’où vient cet homme ?

James : Et bien les défauts du personnage viennent tous de moi, je ne peux pas m’en cacher.

[Rires de Raymond et James]

Raymond : Est-il inspiré de plusieurs personnes ou l’avez-vous créé en partant de vous puis… ?

James : Je pense que mes personnages se créent dans mon inconscient et je n’ai jamais vraiment su d’où ils ne venaient ni même comment les histoires me venaient. Mais je crois vraiment que l’histoire est inscrite dans l’inconscient et qu’elle est écrite par une main autre que celle de l’auteur. Faulkner a dit avant sa mort, « si je n’avais pas écrit ces livres, un autre les aurait écrits pour moi. » Et vous voyez Emerson avait cette même croyance de l’existence d’une âme suprême. Tout honnête artiste, et la plupart le sont lorsqu’il s’agit de leur talent, seront les premiers à dire que le talent qu’ils ont, peu importe leur niveau, vient de quelque part mais pas d’eux. Et ceux qui disent ça ont confectionné leur art à partir de la source de leur propre expérience et deviennent, en réalité, arrogant et vaniteux ou finissent par échouer par peur de perdre leur talent. Il leur est pris et donné à quelqu’un d’autre. Mais presque tous les artistes vous diront que ce don leur vient de quelque chose externe à eux-mêmes. Je pense qu’il y a quelque chose de véritablement mystique autour de l’art. L’art est le seul domaine dont on puisse profiter dans la province de Dieu, c’est la créativité qui nous ramène à la source de toute vie.

 

Intervention public de Gérard Coquet et Ludovic Francioli à la Librairie Un Petit Noir Lyon 1 sur le thème James Lee Burke et Dave Robicheaux le 4 Octobre 2018.

Points de vue (présentés et débattus lors de la soirée un Petit Noir)

Dave Robicheau, héros principal d’une des séries de James Lee Burke, est-il représentatif de son auteur ?
Dans ses livres le concernant, James Lee Burke utilise le « Je » dans. Pour cette raison et beaucoup d’autres, Dave EST James Lee Burke.
Ce choix narratif de la première personne oblige l’auteur à donner au lecteur un « point de vue » qui lui interdit d’entrer ou d’être dans la « tête » d’autres personnages.

Les histoires de la série Dave Robicheaux reposent toutes sur le même schéma :

  • Une intrigue reposant sur le désir de « purification »,
  • Un évènement déclencheur qui vient de l’extérieur et se manifeste souvent par l’arrivée d’une vieille connaissance tirant avec elle un souvenir désagréable,
  • Un décor décrivant la Louisiane dans lequel on entre en « travelling avant » et qui sert souvent de « pause «  entre les scènes d’action.
  • Des personnages « cassés »,
  • Des dialogues secs mais qui font toujours progresser l’intrigue,
  • La coexistence d’un tandem (Robicheaux / Purcell) qui permet au lecteur d’apprécier le personnage principal,
  • Une fin parfaitement bouclée.

Quand on termine un « Robicheaux » et que l’on revient dans une nouvelle histoire quelques plus tard, on éprouve la douce impression de rentrer chez soi… Ce n’est qu’une impression, mais c’est sacrément agréable.

 

James Lee Burke

James Lee Burke est un auteur américain de romans policiers, né le 5 Décembre 1936 à Houston au Texas. Il est considéré comme l’un des plus grands auteurs vivants. Il commence à écrire quelques nouvelles vers l’âge de 10 ans, il devra attendre 14 ans pour obtenir une reconnaissance éditoriale. Il enchaînera de nombreux boulots tout en s’accrochant à l’idée d’être un jour publié à l’image de son cousin André Debus qui connu le succès avant lui.

Il écrit son premier roman à 23 ans, La moitié du Paradis. Il attendra 5 ans pour le publier et obtenir reconnaissance avec une critique de 6 colonnes dans New York Times.

Il  publie ensuite Vers une aube radieuse, Déposer Glaives et boucliers, il touche alors le point de non-retour avec Le Boogie des Rêves Perdus qui sera refusé 114 fois (un record), il attendra alors 14 ans pour relancer sa carrière.

A 25 ans il a déjà sombré dans l’alcoolisme, il intègre un groupe de soutien.
Il qualifiera cette période ainsi : c’est comme une excursion dans un autre monde, un monde que les mots ne peuvent pas décrire.

Alors naît Dave Robicheaux qui ne devait être qu’une trilogie, il en existe actuellement 20.

James Lee Burke se définit avant tout comme un écrivain catholique. J’utilise les paroles du Christ comme une règle, si le monde me rejette Moi, que pouvez vous en attendre ?

Concernant Dave Robicheaux : les défauts du personnage viennent tous de moi, je ne peux pas m’en cacher.