chronique Dora-Suarez L'aigle des tourbières - Gérard Coquet

Il a un caractère d’Albanais : il trébuche sur une pierre, il lui tire dessus. Proverbe albanais.

Au pays de l’Aigle, la coutume ancestrale, le Kanun, fait force de loi. Il n’y est question que de vendettas et dettes de sang… Et dans le nord de l’Albanie, entre contrebandiers, armées des Balkans et clans mafieux, le Kanun a fort à faire.

Susan s’y retrouve prise au piège avec son fils Bobby entre les absurdités du régime d’Enver Hoxha et la perte de ses illusions politiques.

Des années plus tard, en Irlande, terre celtique de beauté et de mystères, Ciara McMurphy, flic de son état, coule des jours tranquilles entre affaires courantes,  Guinness et feux de tourbe jusqu’à ce qu’un rapace ne vienne troubler sa quiétude…

Bobby le fou, un fantôme du passé, un monstre dressé à tuer, semble de retour sur ses terres ancestrales avec l’étrange Markus Noli, émissaire d’Interpol, à ses trousses. Et dans leur sillage une brochette de cadavres qui commencent à faire désordre…

Des rochers d’Aughrus Point écrasés par les vagues aux plages étincelantes de Bunowen Bay, Ciara pour s’extirper des griffes de ces vautours, devra très vite apprendre à danser…Parce qu’ici, comme le dit la chanson : La folie, ça se danse !

Dans nos montagnes, tu comprendras ton erreur. Avant Hoxha, les grands-parents et les parents vivaient avec leur fils mariés et seules les filles quittaient la famille pour rejoindre celle de leur époux. On appelait ça des clans. Aujourd’hui, ces clans sont devenus pauvres à tel point qu’ils n’ont d’autres choix que de se terrer pour survivre. Dans les villages, les gamins jouent au foot dans des champs de patates et pleurent quand le ballon se déchire sur des barbelés, pas quand leurs parents vendent leurs frères ou leur sœur pour donner à bouffer au reste du groupe. Là-haut, la seule loi reconnue n’est pas celle d’Enver Hoxha mais celle du Kanun de Lekë Dukagjini

 

J’ai lu le Kanun, un code de vie, un code d’honneur mêlant les lois du sang, de la famille et du clan. Cet ouvrage est un des ouvrages le plus complexe qu’il m’ait été donné de parcourir.

Historiquement, le peuple albanais du Nord qui ne se reconnaît que dans la loi du Kanun va entrer en dissidence envers le régime totalitaire communiste, soutenu par la Chine, de Enver Hoxha.

Susan, communiste convaincue va en payer le prix, obligée de fuir la dictature et de laisser là ses convictions. Elle va emmener avec elle celui qui deviendra Bobby Le Fou, son fils qui à l’âge adulte sera l’un des plus violent extrémiste, fasciné par la violence. Il commencera ses activités au sein d’une branche de l’IRA pour aller ensuite se rallier à une frange serbe coupable d’extermination.
Autant dire que Ciara est face à un monstre bien décidé à revenir sur les terres de son enfance.

Tout le talent de Gérard Coquet s’exprime dans cet ouvrage. Le personnage de Ciara évolue, elle accepte de n’être plus en colère tout le temps, son humour peut être subtil.
La référence historique est plus que documentée, je ne connaissais absolument pas la collusion entre l’IRA et l’Albanie, ni ne savait que le Kanun inspirait le code ancestral de la mafia italienne.

Bobby est un “méchant” extraordinaire, rare dans la littérature car il n’a aucun aspect caricatural, cela grâce à l’écriture de l’auteur, son sens des mots “justes” et l’harmonie du récit. Il est une ombre qui plane, tel l’aigle, au dessus des tourbières attendant de se jeter sur sa proie.

C’est un roman éblouissant, frissonnant, épatant…

Ludovic Francioli