Nouvelle de James Holin, tirée du volume 5 de la collection Dora-Suarez-présente…, Jusqu’à la lie, ISBN 978-2-913897-67-0, éditions AO – André Odemard 2018. Mise en ligne avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions AO.

“Une aventure de Désiré Perez”

À Gaspard

Couché sur son transat, Désiré Perez se laissait bercer par le son des galets. Depuis le temps, il s’était habitué à ce vacarme d’essoreuse. La brise marine de cette fin d’après-midi était des plus douces. Dans le ciel dégagé de la Baie des Anges, la voile jaune d’un parachute ascensionnel descendait comme un pétale. Désiré était le dernier client du Tropic. Le plagiste en bermuda bleu repliait les parasols blancs, rassemblait les matelas taupe, repositionnait les transats pour le lendemain.

Désiré envoya une main sous le matelas. Ernestine, couchée entre deux sacs de glace fondue, avait la truffe tiède. Le maudit chien ne supportait pas la chaleur, mais il préférait encore endurer des après-midi à la plage avec son maître que de rester seul dans le studio du Vieux-Nice.

Le journaliste se sentait bien. Cette semaine de vacances, en plein juillet, l’avait reposé.

Certes, comme à l’accoutumée, il avait pris du poids. Il ne pouvait résister longtemps à son penchant pour la fourchette. Toutes ses résolutions de régime, de diète, de vie saine et de sport s’étaient évanouies dès le premier jour. Il faut dire, à la décharge de notre homme, que son appartement était des plus mal situés. Niché dans une rue piétonne, à deux pas de la chapelle Sainte-Rita, patronne des causes désespérées, il dominait des tables heureuses, garnies de farcis, de tourtes aux blettes, de beignets de sardine, de socca et autres raviolis et fleurs de courgette.

Mais, demain, il fallait rentrer à Saint-Étienne. Il retrouverait son bureau au Progrès, ses carnets à spirales, ses faits divers plus ou moins sordides, son bouillonnant rédacteur-chef débordant d’idées géniales.

Avec son antique Mini, le trajet de retour serait une véritable équipée. Pourtant, cette fois, il était confiant. Son garagiste de l’avenue Sainte-Marguerite l’avait bichonnée toute la semaine : nouveaux pneus, nouvelles plaquettes de freins, réglage du ralenti et surtout, réfection complète de la sellerie en tartan et de la carrosserie bleu ciel. La pimpante Austin était comme neuve.

Le téléphone neuf touches du journaliste sonna. Ernestine grogna. À chaque fois que ce satané appareil se manifestait, c’était pour une mauvaise nouvelle.

Au bout du fil, le rédac’chef s’enquit pour la forme des vacances de Perez, puis entra dans le vif du sujet. Il préparait une enquête sur les nouvelles pratiques liées à l’Internet. Il avait besoin « asap », as soon as possible, d’un article sur un site de covoiturage. Le pitch était que Perez remonte à Saint-Étienne avec un passager rencontré sur compagnonderoute.com.

Le journaliste se gratta le mollet. Il en avait marre des « idées fumeuses asap ». D’une part, il était en vacances et il comptait en profiter jusqu’au bout. D’autre part, il imaginait mal un parfait étranger dans sa chère voiture. C’était presque plus intime que de l’inviter chez lui.

Malheureusement, le rédac’chef semblait y tenir.

Après tout, le jeune homme avait soutenu Désiré lors d’une énième passe d’armes avec Roche fin juin. Le commissaire central de Saint-Étienne, agacé par la plume ironique aux accents libertaires de Désiré, avait tenté d’avoir la peau du journaliste. Il fallait bien renvoyer l’ascenseur de temps en temps.

Toutefois, Perez ignorait le fonctionnement de ce site internet. Le journaliste, quoique jeune quinquagénaire, était, par choix philosophique, souci de confort personnel et inaptitude technique, un individu sciemment « déconnecté » : pas de smartphone, pas de télévision, pas de box, encore moins de montre intelligente. Le journaliste disposait d’un simple ordinateur au bureau et, contrairement à ces confrères, ne se rendait jamais sur Internet. Il préférait travailler à l’ancienne. Sur le terrain, au contact des gens.

Le rédac’chef, qui connaissait son homme, avait anticipé la chose. Il avait créé un profil sur le site pour Perez et même choisi son passager.

– Si je comprends bien, je n’ai rien à faire, résuma le journaliste, à mi-chemin entre l’irritation d’être mis devant le fait accompli et la satisfaction de s’épargner une corvée.

– Tu as juste à le récupérer à l’Ariane et tu le déposes à Saint-Étienne. Il te remettra trente-cinq euros pour te dédommager. Tu ne risques rien, j’ai pris un ecclésiastique.

– Un ecclésiastique à l’Ariane ?

– Oui, un moine, dom Carlos.

– Comme l’opéra de Verdi ?

– Heu… certainement.

– Tu sais que je ne suis pas particulièrement porté sur la calotte.

– Écoute, il n’a que des avis élogieux sur le site : « Voyage sans problème, passager très sympathique, à recommander » ; « Ponctuel, agréable, dom Carlos est de très bonne compagnie » ; « Ponctualité et ambiance de voyage parfaite, je recommande vivement dom Carlos ».

Mouais, pensa Désiré, en se redressant après avoir raccroché.

Le journaliste rassembla ses affaires, et accompagné d’Ernestine, se rendit place du Palais de justice, boire une anisette fraîche. Il se demandait bien à quoi pouvait ressembler ce dom Carlos.

*

Le lendemain matin, Perez ferma son appartement. Les bras chargés d’une caisse de vin, il confia les clefs à la concierge, madame Capponi, essaya d’écourter la conversation intarissable de la femme, l’embrassa en évitant la moustache et se dirigea avec Ernestine vers le parking.

Le journaliste gagna le nord de la ville pour pénétrer dans le quartier de l’Ariane, plus connu pour ses faits divers que pour son monastère de bénédictins.

Désiré errait à la recherche de la place Pablo-Picasso, lieu du rendez-vous. Le bleu pimpant de la Mini ne passait pas inaperçu. Ernestine, les pattes de devant contre la vitre, regardait défiler les grands immeubles d’habitation. Au feu rouge, deux adolescents en scooter s’enquirent de sa présence incongrue dans le quartier. Ils ne connaissaient pas dom Carlos, mais tinrent à escorter Désiré jusqu’à lui.

Un moine en robe de bure noire, le crâne rasé, le menton en papier de verre et les joues creuses, attendait sur le trottoir, un sac de sport à la sandale. Perez freina. Il se pencha pour ouvrir la vitre.

– dom Carlos ?

L’homme abaissa ses Ray-Ban noires.

– Oui, mon frère.

– Je suis Désiré Perez. Je vous récupère pour le trajet vers Saint-Étienne.

L’homme remonta ses Ray-Ban, balaya les alentours. Il attendit deux secondes, adressa un signe aux deux adolescents qui déguerpirent aussitôt, ouvrit la porte et s’assit à côté de Perez.

– Démarrez, mon frère, le quartier est mal fréquenté, ordonna dom Carlos avec un fort accent espagnol.

Tandis que le journaliste cherchait sa route, le grognement du bouledogue se mit à résonner. D’une détente, dom Carlos se retourna, tomba sur le regard globuleux d’Ernestine. Le chien à tête de gargouille avait les babines retroussées. Il montra les dents, aboya. Visiblement, le courant ne passait pas.

– Sainte-Marie, mère de Dieu, c’est quoi ça ? s’exclama le religieux, en cherchant un objet sous sa bure.

– Calmez-vous. C’est Ernestine. Elle n’est pas méchante, juste irritable.

Mais, pour connaître un tantinet son animal, Désiré comprit qu’ils allaient passer les cinq heures de route avec ce fond sonore. Le moine retira la main de son vêtement.

Perez mit son clignotant, emprunta la bretelle vers l’A8.

– Vous prenez l’autoroute ?

– Oui, évidemment, répondit le journaliste. Vous voulez faire comment ?

– Je préfère les petites routes.

– Certes, mais je tiens pas à arriver dans deux jours.

– On a le temps de voir le paysage.

Ça commençait mal.

– Si vous voulez, je vous laisse à la barrière de péage. Vous trouverez quelqu’un pour vous conduire par les chemins vicinaux à Saint-Étienne.

– Ne vous formalisez pas mon frère. Après tout, avec l’autoroute, on arrive plus rapidement.

Désiré Perez tendit le bras pour récupérer le ticket d’entrée. La barrière s’ouvrit. Il accéléra franchement. Le moteur de la Mini était parfaitement réglé. Un plaisir de l’entendre. Toulon, Marseille apparurent sur un panneau bleu.

– Quel est votre monastère ? demanda Perez.

– Pardon ?

– Votre monastère se trouve près de Saint-Étienne ?

– Oui, pas loin.

– Où ça ? demanda le journaliste, qui n’en connaissait pas.

– Vers Montreynaud

– Montreynaud, la zone de sécurité prioritaire ?

– Exact. C’est nouveau. On vient de s’implanter. On reste discret pour l’instant.

– Et là, vous venez d’où ?

– D’Amérique du Sud. J’ai fait une halte à Nice chez des amis.

Une sonnerie interrompit la discussion.

Dom Carlos saisit son téléphone, un iPhone 7 doré, dernier modèle. Le bouledogue, au vu de l’objet, redoubla son grognement. Le moine parlait, l’index enfoncé dans l’oreille libre, tourné vers la fenêtre, à mi-voix, comme à confesse.

Perez, dont le père était un républicain espagnol, avait quelques rudiments de la langue de Cervantès. Du moins, il avait pris assez d’engueulades pour s’apercevoir qu’il existait un différend. Le moine ne tenait visiblement pas à « se faire baiser » par son interlocuteur. dom Carlos jeta un coup d’œil au conducteur et abrégea la conversation.

– Excusez, un fidèle dans la tourmente. Dites-moi, votre chien va grogner comme cela pendant tout le voyage ?

– J’en ai peur.

– Où sommes-nous ? demanda le moine en regardant sa montre.

– On approche de Brignoles.

– On se traîne, avec votre voiture de midinette.

– Pardon ?

– Vous ne pouvez pas aller plus vite, on est juste à 110. À ce rythme-là, on serait arrivé plus vite par les petites routes. La dernière fois, j’ai fait le trajet en moins de quatre heures.

La moutarde montait au nez de Désiré.

– Avec quoi ?

– Un Porsche Cayenne.

– Dites donc, dom Carlos, si mon Austin n’est pas assez rapide, je vous le répète, une nouvelle fois, vous pouvez descendre.

Le moine regarda sa montre. Il soupira.

– Vous aimez les Rolex ? demanda Désiré pour détendre l’atmosphère.

– Hein ?

Dom Carlos leva son poignet, ceint d’une lourde montre en or.

– C’est un cadeau d’un client, heu, d’un fidèle. Bon, je vais dormir un peu. Je suis fatigué à cause du décalage horaire, dit le moine en passant son bras dans l’anse de son sac sur ses genoux. Il tourna la tête vers Ernestine, qui, le menton sur les pattes avant, le fixait de son regard à la Mel Brooks, bavant sur la banquette en tartan.

– Il ne va pas me sauter dessus ?

– Qui donc ?

– Votre chien.

– Non, ne craignez rien.

Après quelques minutes, dom Carlos commença à piquer du nez. Son ronflement se superposa au grognement du bouledogue. Désiré avait l’impression de voyager dans une ruche. Il était un brin étrange cet ecclésiastique. Comment le rédac’chef l’avait-il trouvé ? Pour tout dire, le journaliste n’était pas rassuré. Heureusement que son chien était là.

Les kilomètres défilaient. Les paysages changeaient. La Sainte-Beaume, Aix-en-Provence, Salon, Cavaillon, Avignon…

Pour quelqu’un dont la conversation avait été jugée agréable sur le site compagnondevoyage.com, le moine se posait là. Il ne décrochait plus un mot. Il plongeait la tête vers l’avant, la relevait brusquement en grognant, la basculait en arrière contre le siège. Insensiblement, elle tombait vers l’avant de nouveau.

Orange, Montélimar, Valence…

Le journaliste se demandait ce qu’il pourrait bien écrire dans son article. Il n’y avait vraiment rien de croustillant.

Le moine ronflait, cramponné à son sac de voyage.

La Mini approchait de Vienne. Juste avant la barrière de péage, dom Carlos sortit de son sommeil comateux. Il s’assura du regard et de la main que son sac était toujours là.

– Dites donc, vous étiez fatigué, glissa Désiré, en insérant le ticket dans la borne.

– Oui mon frère, complètement crevé. Ces trajets en avion me flinguent.

Le journaliste fouillait dans ses poches.

– Vous cherchez quelque chose ?

– De l’argent. J’étais sûr d’avoir un billet.

– Payez par carte, c’est plus simple, conseilla le moine.

– Elle ne marche plus. Il faut que je passe à la banque. J’ai dépassé mon autorisation de découvert. Ces crétins l’ont bloquée sans me prévenir.

Derrière eux, les automobilistes s’impatientaient. Un klaxon retentit. Un deuxième, un troisième, puis rapidement une dizaine.

– Bon, vous trouvez ? demanda dom Carlos qui bougeait la tête dans tous les sens.

Perez avait beau retourner ses poches, il n’avait pas la moindre pièce de monnaie. Des voitures changeaient de file au risque de se percuter. Dans un concert de klaxons, deux agents de la société d’autoroute en chasuble jaune approchèrent.

Dom Carlos ouvrit d’un coup la fermeture éclair de son sac. Il sortit une liasse de billets épaisse comme un tournedos.

– C’est combien ? demanda le moine.

– Quarante et un euros trente.

Il arracha un billet de 50 euros de la liasse, le tendit à Perez.

– Tenez, dépêchez-vous !

Le journaliste avait du mal à positionner le billet dans la machine.

– Vous le faites exprès, ou quoi ?

Après cinq essais, la machine aspira le bifton. La monnaie dégringola dans le panier avec un bruit de machine à sous. La barrière se leva. Perez envoya le bras pour récupérer la mitraille. Trop loin.

– Pas grave, avançons !

La Mini reprit la route.

– Mais c’est quoi, cet argent ?! demanda Perez, en moulinant sa poignée de vitre.

– Le denier du culte.

– Ils sont généreux vos paroissiens. Ils ne donnent que des billets de cinquante, à la quête ?

Dom Carlos ne répondit pas. Il regarda sa montre.

– On est loin encore ?

– Une heure environ.

Le moine soupira.

Derrière, Ernestine transforma son grognement en gémissement.

– Qu’est-ce qu’il a votre chien, maintenant ?

– Faut qu’on s’arrête.

– Pardon ?

– Elle gémit quand elle veut s’arrêter. On va faire une halte.

Ils roulèrent encore dix minutes, puis Désiré bifurqua vers une station-service.

La Mini avança en direction du parking, délaissant les pompes à carburant. Ernestine glapissait de joie à la perspective d’être libérée. Une voiture de gendarmerie apparut sans crier gare.

– Avancez, retournez sur l’autoroute! ordonna dom Carlos.

– Pardon ?

– Ne vous arrêtez pas. Reprenez l’autoroute !

Perez ne comprenait pas.

– Allez, mon frère ! Ne posez pas de question. Faites ce que je vous dis.

Le journaliste continua vers l’autoroute, accéléra, reprit sa place dans le flux au grand dam de son chien, qui grognait comme jamais.

– Mais enfin, vous allez m’expliquer ?

– Il y avait trop de monde dans cette aire.

– Et alors ? Ça vous dérange, le monde ?

– Oui, ça me stresse. La foule me stresse. Je suis habitué à vivre en cellule.

Les gémissements du bouledogue cessèrent subitement. dom Carlos, étonné, se retourna. La chienne trônait sur une auréole humide.

– Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiéta Perez en regardant dans le rétroviseur.

À la vue de la banquette en tartan inondée, ses yeux giclèrent des orbites.

– Voilà, avec vos conneries !

– Pardon ?

– Ma banquette ! Ernestine a pissé sur ma banquette toute neuve ! Vous êtes content de vous ?

Dom Carlos plongea la main dans son sac, reprit une liasse, ouvrit la boîte à gants, la fourra dedans.

– Arrêtez de vous lamenter ! Avec ça vous pouvez la refaire dix fois votre banquette.

– Mais je ne veux pas de votre argent ! Reprenez-le !

Perez ruminait. Le rédac’chef allait l’entendre ! La Mini pénétra sur la N 88. Plus qu’une demi-heure avec ce raseur.

Ils avaient dépassé Rive-de-Gier. Il ne restait que quinze kilomètres à parcourir, quand une 308 bleu nuit avec trois antennes et un gyrophare sur le toit se porta à leur hauteur. À la place du passager, un homme imposant à la barbe blanche en tube leur adressait des signes directifs.

– Mince ! s’exclama le moine. Ne vous arrêtez pas !

– Ça ne va pas non ? Je n’aime pas particulièrement les flics. Mais je ne tiens pas à avoir de problème.

– Foncez ! Je vous dis.

– Avec mon Austin qui se traîne ?

Dom Carlos dut se rendre à l’évidence. Des gouttes de sueur perlaient son front bronzé.

Perez roula sagement derrière la 308, sortit avec elle sur l’aire du Pays-de-Giers. Au niveau du rond-point, avant de pénétrer dans la station-service, le moine balança son sac à l’arrière. Ernestine sentant le danger se posta sous cet abri de fortune. Perez se gara sur le parking. Les monts bleutés entaillés de vert du Forez se dessinaient à l’horizon.

Deux douaniers approchèrent. Des routiers, qui revenaient de la douche une serviette sous le bras, s’écartèrent. Les gabelous portaient un brassard orange fluorescent au bras et un pistolet à la ceinture. Le gros à barbe de druide toqua à la fenêtre conducteur. L’autre, un noiraud voûté se plaça au niveau du moine.

– Contrôle de douanes ! Papiers d’identité, s’il vous plaît.

Perez chercha dans son baise-en-ville, tandis que dom Carlos exhibait un magnifique passeport argentin avec un sourire de nonne extatique. Les deux douaniers scrutèrent les documents, retournèrent à leur véhicule, interrogèrent les fichiers centraux,  puis revinrent. D’un air suspicieux, ils les tendirent à leurs propriétaires.

– Vous avez quelque chose à déclarer ?

– Un jerrican d’eau bénite, dit Perez.

– Vous faites de l’humour ? grinça le douanier à barbe de druide, l’air menaçant.

Il se tourna vers le moine.

– Et vous, mon Père ?

– Mon Frère, s’il vous plaît, je n’ai pas été ordonné prêtre. Pour le reste, absolument rien, répondit l’ecclésiastique.

Le douanier noiraud se pencha vers la fenêtre.

– Hé, Grizzly 42 ! T’as vu le sac ?

Grizzly 42 était l’indicatif radio du douanier à barbe de druide. Dans le service, les gars l’appelaient comme cela.

Le druide fixa Perez.

– C’est quoi, ce sac ?

Dom Carlos avala sa salive.

– Il n’est pas à moi, répondit le journaliste, c’est celui de mon compagnon de voyage.

– Pardon ? s’exclama don Carlos. Vous plaisantez ? Ce sac est le vôtre. Je voyage léger, comme Saint-François. Un simple manteau pour dormir.

Perez sentit l’entourloupe.

– Espèce de menteur ! Ce sac est à vous. Non, mais dites-le !

– Calmez-vous, mon frère, on ne résout pas les problèmes par la violence.

Grizzly 42 se tourna vers le moine.

– Vous êtes qui, vous, au juste ?

– Dom Carlos, moine bénédictin, je fais simplement le voyage avec monsieur. Je n’ai rien à voir avec tout cela. Je ne le connaissais même pas, il y a trois heures. Je l’ai rencontré via compagnondevoyage.com.

– Le sac est à qui ? demanda le noiraud.

– Mon frère, ce sac est à monsieur Perez !

Désiré, hors de lui, agrippa le moine au cou des deux mains.

– Sale cureton, je vais te faire la peau !

Grizzly 42 attrapa le bras de Perez. Mais le journaliste était remonté comme un coucou suisse. Le douanier lui asséna un violent coup de coude dans le dos pour lui faire lâcher prise. dom Carlos s’extirpa du véhicule sans demander son reste.

Le noiraud pénétra dans l’habitacle, ouvrit la boîte à gants, trouva la liasse de billets.

– Dites donc, on a les moyens ! Il y en a pour au moins cinq mille. C’est à qui, ça ?!

Dom Carlos désigna Perez des yeux.

– Ils étaient dans le sac. Il m’a demandé de payer le péage avec. Il ne voulait pas utiliser sa carte bancaire.

Grizzly 42 fixa Perez.

– Complètement faux, s’exclama le journaliste qui crachait ses poumons. C’est lui qui a mis la liasse dans la boîte à gants.

– Arrêtez de nous prendre pour des lapins de six semaines, rétorqua le noiraud. Un moine que vous ne connaissez ni d’Ève ni d’Adam va mettre cinq mille euros en coupures de cinquante dans votre boîte à gants ?

– Ouvrez votre sac ! ordonna Grizzly 42.

Perez se retourna pour le saisir. Ernestine demeurait tapie sur le sol, silencieuse, les yeux pointés vers le haut comme un carrelet.

Le journaliste tira sur la fermeture Éclair.

– Écartez les deux pans ! Je veux voir !

Des dizaines de liasses de billets apparurent. Les douaniers ouvrirent des yeux grands comme le déficit public. C’était la prise de l’année pour la brigade !

– D’où vient cet argent ? demanda Grizzly 42.

– Je n’en sais rien, répondit Perez, qui continuait de tousser.

– Sortez du véhicule ! ordonna le druide. Pierrot, récupère le sac !

Grizzly 42 sortit ses menottes. Dans les pognes de ce primate néanderthalien, elles ressemblaient à un porte-clefs.

– Mains en l’air !

– Vous faites une incroyable erreur.

– Ta gueule lui asséna le douanier. Tourne-toi !

– Mais, je vous assure. Je suis journaliste…

Le druide lui plia le bras, le retourna. Perez hurla, se raidit d’un bloc, se hissa sur les pointes de pieds comme sur la scène de Garnier. Ce dingue lui arrachait l’épaule. Le gabelou lui passa les pinces, serrant les bracelets au maximum. Heureusement pour Perez qu’il y avait de l’os dans le poignet, sinon c’était le garrot assuré.

– Vous êtes complètement barge !

– Tu veux de l’aide Grizzly 42 ? demanda le noiraud.

– Non, c’est bon. C’est pas ce rigolo qui va me gratter la glotte par l’intérieur.

Le noiraud se tourna vers le moine.

– Vous voulez déposer plainte, mon Père ?

– Non, c’est inutile, mon frère. Je m’en remets à la justice de Dieu. J’aimerais juste poursuivre mon voyage si cela est possible. Mes fidèles m’attendent.

Le noiraud interrogea son collègue du regard.

– Restez là le temps de la fouille du véhicule, mon Père, merde, mon Frère. Et après, vous pourrez reprendre votre route.

Le gabelou se tourna vers Désiré.

– Alors, mon canard ? Dis-moi tout de suite où elle est…

Les mains de Désiré lui faisaient horriblement mal. Il grimaçait, cherchant une position pour les soulager.

– Vous ne pourriez pas desserrer les menottes non ? Espèce de fasciste ! Je vous dis qu’il y a erreur.

– Ta gueule ! Où se trouve le produit ?

– Le quoi ?

La voix du douanier tonnait comme la corne de brume d’un méthanier néerlandais sur le rail d’Ouessant.

– Le stup. Me dis pas que t’es remonté qu’avec de la fraîche !

– Mais, il n’y a rien du tout, je vous jure !

Grizzly 42 se tourna vers son collègue.

– Va chercher Ralf.

Le noiraud se dirigea vers la 308 aux trois antennes. Il revint avec un malinois aux poils blancs. Le chien, à un an de la retraite, souffrait de la chaleur, il avait le poil ébouriffé comme un pissenlit en fin de vie et la langue aussi grise que le goudron sur laquelle elle traînait.

D’un coup de laisse, le douanier colla la truffe fripée du clébard sur l’enjoliveur. Sans conviction, le chien renifla puis tourna son museau fatigué vers la 308.

– Cherche Ralf, cherche ! l’encourageait son maître.

Mais, en plus d’être à moitié sourd, le clebs s’en foutait comme de l’an quarante. Il aurait préféré poursuivre sa sieste à l’ombre. Le noiraud tira sur la laisse pour lui faire faire le tour du véhicule.

– Que dalle !

Grizzly 42 lissa sa barbe de druide.

– Ça doit être à l’intérieur. Fais renifler Ralf.

À peine Ralf eu-t-il introduit son museau à l’intérieur, qu’une murène lui sauta à la gueule toutes dents dehors. Ernestine planta ses crocs aiguisés dans l’oreille du préretraité. Le malinois, qui ne voulait pas mourir à quelques jours de la quille, déserta sans coup férir. Pris dans sa frénésie de mordant, le bouledogue saisit le sac plein de billets et fonça derrière le fuyard.

– Ralf, au pied ! ordonna le noiraud.

– Ernestine, revient ! cria Perez.

– Il a mordu Ralf, son connard de clébard a mordu mon Ralf ! hurlait le noiraud.

– Il est parti avec le fric ! cria dom Carlos. Arrêtez-le !

Pierrot dégaina et vida son chargeur en direction du bouledogue.

Désiré, voyant son chien courir entre les balles, se jeta sur le tireur. Le douanier, percuté plein fer, roula à terre. Les deux chiens disparurent derrière un mamelon herbeux.

Un tampon de locomotive percuta le visage de Perez.

Grizzly 42 avait le métatarse dur comme du granit. Les jambes du journaliste se dérobèrent.

Le douanier le récupéra par le col, lui asséna une paire de claques.

– Reste avec nous salopard ! T’es plus malin que je pensais. T’as dressé ton chien pour échapper au contrôle. Très fort !

Grizzly 42 s’approcha de l’Austin.

– Ramène-toi, Pierrot, on va le faire à l’ancienne. T’inquiète pas pour Ralf. Il en va vu d’autres.

Le noiraud s’approcha du visage tuméfié de Perez. Il lui plaça son pistolet fumant sous le nez ensanglanté.

– Je te garantis que si ton corniaud fait du mal à mon Ralf, tu vas déguster.

– Mon Père, on va commencer la fouille, dit -Grizzly 42. Venez, s’il vous plaît.

Un silence de cathédrale lui répondit.

– Le moine s’est barré ! s’exclama Pierrot.

– Merde, on s’est fait avoir ! C’est des super pros, ces types. Y a pas à dire. On est tombé sur une équipe de premier plan.

Le douanier ouvrit le coffre. Une valise et un carton de vin. Il saisit la valise, l’ouvrit, versa le contenu sur le goudron, fouilla du pied le tas formé. Des vêtements sales, une trousse de toilette avec des traces de dentifrice, un Série noire lu aux trois quarts.

Grizzly 42 passa au carton de bouteilles.

– Faut les vider, dit le Noiraud. Des fois, ils la planquent dedans.

– Mais vous êtes fous ! souffla Perez qui se remettait de son bourre-pif. C’est des bouteilles neuves. Du château Picotto à cinquante euros la bouteille.

– Et alors ? C’est une bonne planque, non ? On met la poudre dedans dans des petits sacs et on franchit la frontière, ni vu ni connu, lança Grizzly 42 en saisissant la première boutanche.

Il cassa le goulot contre l’aile de l’Austin.

– Désolé, y a un chtar sur le capot.

– Mais vous êtes malade ! Elle vient d’être repeinte ! C’est complètement illégal !

Grizzly 42 n’en avait cure. Il vida la bouteille sur le sol, la jeta sur le bas-côté. Il en saisit une deuxième et procéda à l’identique. Puis une troisième, une quatrième, une cinquième. La carrosserie bleue de la Mini se couvrait de bosses et d’éclaboussures écarlates. Le gabelou pataugeait dans une mare rouge.

La sixième et dernière vidée, il se tourna vers Perez. Le douanier sortit un Laguiole avec un manche en corne grise, le déplia.

– Je te conseille de me dire où se trouve la marchandise, maintenant. Sinon, je passe au stade supérieur.

– Il n’y a pas de marchandise. Il faut vous le dire en quelle langue ? Ma parole, vous êtes encore plus bornés que les flics !

– Comme tu voudras…

Grizzly 42 pénétra dans la Mini en soufflant.

D’un geste, il planta son Laguiole dans la banquette arrière, l’ouvrant sur toute la longueur. Comme s’il vidait un poulet, il plongea les mains à l’intérieur pour en extraire la garniture. Un paquet de mousse jaune couvrit rapidement le plancher.

Perez fulminait, impuissant.

Sans sourciller, le douanier se porta à l’avant, leva son couteau au-dessus du siège conducteur, le frappa, l’ouvrit en deux. L’Austin ressemblait à une cage à lapins.

Le douanier sortit, replia son Laguiole et respira un grand coup. Il avait eu affaire à des trafiquants expérimentés, mais celui-là, c’était un des meilleurs.

– Bon, c’est bien planqué. Pierrot, démonte les plastiques.

Le noiraud retourna à la 308. Il en revint avec un tournevis. Il pénétra dans la Mini. Il démonta les portières, le logement du levier de vitesses, la boîte à gants, les vide-poches, le tableau de bord. Il ne s’embarrassait pas. Il trouvait un interstice, introduisait le tournevis, faisait levier. Ça craquait, ça s’ouvrait, déformant les pièces métalliques, arrachant les cuirs, déchirant les tissus. Les cadrans pendaient comme des yeux de chat arrachés, retenus par un fil.

Au bout de vingt minutes, le douanier dut se rendre à l’évidence. Rien.

– Je vois que monsieur est un grand professionnel, déclara Grizzly 42. On va amener la voiture au garage. Pierrot, apporte la Mini à Philibert.

Le garage Genthialon se trouvait juste derrière le parking, à cinquante mètres du restauroute. C’était pratique pour inspecter les véhicules arrêtés sur l’aire. Le noiraud prit le volant de l’Austin, tandis que Grizzly 42 y conduisit Perez à pied.

Un mécano en combinaison grise s’affairait sur une Renault 21 jaune. Il se tourna, tendit son avant-bras marqué d’un tatouage maori à Grizzly 42, sans un regard pour Perez.

– C’est la Mini. Elle est chargée. Commence par les roues.

Le mécano prit les clefs pour monter la voiture sur le pont. En pénétrant dedans, il aperçut la sellerie éventrée. Un massacre ! Il fallait tout refaire. Ça coûterait bonbon au propriétaire. Mais, après tout, c’était un trafiquant de drogue, une crevure, on n’allait pas pleurer.

Une fois la voiture en hauteur, le garagiste démonta les roues une à une. Le journaliste regardait en se mordant les lèvres sa voiture de collection se faire démembrer.

Rien !

– Le réservoir, ordonna Grizzly 42. Inspecte le réservoir.

Le garagiste démonta le réservoir, vérifia qu’il n’avait pas de double fond.

Nada !

– Le bas de caisse, je suis sûr que c’est dedans, s’exclama Grizzly 42.

– Vraiment ? dit le garagiste, en prenant à témoin Pierrot. Après, la voiture ne pourra plus rouler.

– Vas-y, je te dis. Je suis sûr qu’il y a du produit.

Le garagiste sortit, revint avec des lunettes de protection, des gants et une énorme disqueuse thermique qu’il tenait comme une tronçonneuse.

Il se plaça sous la caisse.

– Mais qu’est-ce que vous allez faire ? cria le journaliste. Vous êtes timbrés, ou quoi ? Comptez sur moi pour faire connaître vos méthodes ! C’est inadmissible.

– Ta gueule ! lui ordonna le douanier à barbe de druide.

Le moteur de la disqueuse vrombit. Le disque aux dents acérées pénétra dans la tôle dans un bruit d’aciérie et sous une gerbe d’étincelles. Quand le garagiste eut découpé les trois côtés d’un rectangle, il posa la disqueuse, releva la tôle avec une barre à mine.

Vide !

– L’autre côté, dit Grizzly 42.

Au bout d’une heure, la Mini était percée de plusieurs trous. Le métal retourné formait des pétales.

– Vous allez me le payer. C’est moi qui vous le dis ! marmonna Perez.

– Écrase !

Grizzly 42 se tourna vers son collègue.

– Je ne vois qu’une solution.

Un large sourire dévoila les dents jaunies de Pierrot.

– J’appelle le docteur Ben Amin ?

– Non, c’est un chieur. La dernière fois, il a fait tout un foin. Pourtant, c’est pas compliqué de faire un TR. Et puis, il y a toute la papasserie, ça prend une plombe !

Perez sentit comme une piqûre de guêpe au niveau du cerveau.

– Un TR ?

– Un toucher rectal. Tu as la marchandise dans le bide, je suis sûr. T’as une gueule de bouletteux. T’as des gants en plastique ? demanda grizzly 42 au garagiste.

Le mécano considéra le douanier avec un air niais. Il n’avait pas cet article dans son atelier. Il faut dire à sa décharge qu’il ne pratiquait de TR fréquemment.

– On doit en avoir une paire dans la 308, lança Pierrot. J’y vais.

Quand le noiraud revint avec la paire de gants transparents, Désiré eut un coup de sang. Il prit soudain son élan et détala, sortant du garage.

Les deux gabelous le coursaient sur l’aire de repos, à grand renfort de cris, d’injonctions et de jurons au milieu des familles, des voitures surchargées et des camions à l’arrêt. Porté par un désir irrépressible d’éviter le sinistre examen médical, pratiqué, qui plus est, par un personnel non conventionné, Désiré courait comme un dératé.

Arrivé au rond-point, il entreprit de traverser. Il évita de justesse un Ford Kuga, mais ne parvint pas à esquiver le pare-chocs de la Fiat 500 qui lui suçait la roue. À la manière d’une quille percutée à la base, le journaliste s’éleva dans les airs, décrivit un soleil digne du Cirque de Moscou, les jambes vers le ciel, la tête vers le sol, s’effondra dans un bruit sourd sur la chaussée devant le pare-chocs d’une Volkswagen.

Les douaniers s’accroupirent auprès de l’acrobate.

– Merde, lança Grizzly 42, tout en sueur. Je n’aurais pas dû le faire flipper avec le TR. J’y suis allé trop fort.

Le gabelou lui colla une paire de beignes. Mais Désiré demeurait immobile.

– Il est mort ? demanda naïvement Pierrot.

Grizzly 42 envoya à Perez une nouvelle tourniole.

La conductrice de la Fiat 500, tout affolée, arrivait avec un aérosol.

– Tenez, aspergez-lui le visage. C’est de l’eau. Je fais cela pour les petits vieux à la maison de retraite quand ils ont un malaise.

Grizzly 42 s’empara de la bombe, en aspergea abondamment le visage du journaliste.

L’eau avait une odeur bizarre, comme coupée avec du poivre.

Instantanément, Perez ouvrit les yeux, devint cramoisi, cracha, se leva, expectora, cria, se racla la gorge, dansa d’un pied sur l’autre, se gratta le visage contre la clavicule, pleura, toussa comme un tubard, se roula au sol, souffla, puis s’immobilisa avec des spasmes d’insecte empoisonné au neurotoxique.

– Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? demanda Grizzly 42.

La conductrice n’avait pas pris de gaz dans les naseaux, pourtant, elle était aussi rouge que Perez. Comment avait-elle pu confondre son brumisateur et sa bombe d’autodéfense ? Le premier était à droite et l’autre à gauche.

Grizzly 42 avait peu de temps à consacrer aux problèmes de latéralisation de la conductrice. D’un geste, il abrégea ses explications. Avec le noiraud, ils hissèrent Perez sur leurs épaules. Le journaliste, comateux, fermait les yeux de douleur, un filet de bave sur la joue.

– Il a pas l’air frais, déclara Pierrot. Faudrait vraiment appeler le docteur Ben Amin cette fois.

– Ouais, t’as raison.

Le douanier cherchait son téléphone, quand le conducteur de la Volkswagen se présenta devant eux.

– Mais que se passe-t-il ici ?

Les douaniers le regardèrent avec incrédulité.

– Vous êtes qui, vous ?

Perez connaissait cette voix. Il avait assez de liquide lacrymal pour ouvrir un œil façon moule du bouchot et discerner une silhouette floue en bermuda clair, polo rose et tennis. Il ne manquait plus que lui ! Il allait vraiment boire le calice jusqu’à la lie.

– Commissaire Roche ! Commissaire central de Saint-Étienne.

Les deux gabelous demeuraient dubitatifs.

– Vous avez une carte ? exigea Grizzly 42.

L’homme exhiba une carte tricolore.

– Et vous, vous avez une carte ? rétorqua le policier.

Le noiraud brandit la sienne comme on joue à la bataille.

Égalité, la balle au centre. Chacun rangea la sienne.

– On l’a arrêté pour trafic de drogue, dit Grizzly 42.

– Hein ? Désiré Perez, trafiquant de drogue ?! Mais il est journaliste au Progrès !

– Ça n’empêche pas ! Il était avec un moine qui s’est carapaté.

– Un moine !

Perez eut un soubresaut. Il avait mal au ventre.

– Roche, libérez-moi. C’est une incroyable erreur.

Le commissaire goûtait son plaisir. Désiré Perez lui demandait d’intervenir en sa faveur.

– Vous me promettez d’arrêter vos critiques sur la police ?

Le journaliste avait envie de vomir.

– Promis.

– De faire un article à chaque fois que j’organise une opération de sécurisation ?

– Oui ! lâcha Perez qui sentait des sueurs froides l’envahir.

– De faire un don aux orphelins de la police ?

– Soit, libérez-moi !

– De faire un article dithyrambique sur mon action pour la ville.

– Ça non ! Il ne faut pas charrier tout de même.

Perez tourna le visage, vomit.

– Enlevez-lui les menottes, ordonna le commissaire.

Mais les douaniers avaient la tête dure. Ils ne recevaient pas d’ordre de la police. Roche dut appeler le parquet.

– Vous faites une erreur, lança Grizzly 42 en récupérant ses menottes. Il est coupable. Vous verrez !

Les deux douaniers regagnèrent leur 308 en traînant des pieds, jouant les victimes de la Guerre des polices.

– Il faut retrouver Ernestine ! s’exclama Perez, revenu à lui.

– Pardon ?

Pendant une heure, la voiture du commissaire Roche parcourut les alentours. L’épouse du policier et ses deux enfants, de retour de vacances, pressés de rentrer à la maison, fulminaient à l’arrière.

Le satané bouledogue était introuvable. Le jour tombait. Il fallait se rendre à la raison.

Le commissaire ramena le journaliste chez lui, rue Boucher de Perthes.

– Merci beaucoup, Roche. Je vous revaudrai cela.

– Pas de quoi, Perez. On a eu des mots, mais je sais que vous êtes honnête. Pas le genre à transporter des milliers d’euros en liquide dans un sac, ni à convoyer du stup. Tout va rentrer dans l’ordre. Un de mes hommes passera demain chez vous prendre votre audition. Plus vite c’est fait et plus vite c’est réglé. Ça vous va ?

– Parfaitement. Vous pensez que le moine était un trafiquant de drogue ?

– Je ne sais pas. En tout cas, il transportait une grosse somme d’argent et il ne voulait pas trop qu’on s’intéresse à lui. J’ai récupéré son identité auprès des douaniers. Nous verrons bien s’il est connu.

Désiré salua son sauveur, monta les escaliers. Il avait passé un sale quart d’heure. Sa chère Ernestine disparue, son Austin détruite, il était en miettes, avec des yeux de lapin mixomatosé, un nez en patate, un dos en compote et des boyaux en révolution.

Le rédac’chef, allait l’entendre. Et « asap » encore ! Dès demain.

Le journaliste ouvrit la porte de son domicile, se versa un double bourbon, s’effondra sans son fauteuil club. Harassé par la fatigue, il sombra.

Le matin, des griffes sur la porte le tirèrent du sommeil.

Ernestine ! Il bondit du fauteuil. Le merveilleux chien avait retrouvé son chemin. Elle tenait dans sa gueule le sac bicolore de dom Carlos.

Vide ! Pas un billet.

Le journaliste plia le sac, se rendit à la cuisine, ouvrit la poubelle. S’il remettait le sac vide aux policiers, il faudrait encore s’expliquer. Trop, c’est trop ! Il avait déjà suffisamment donné.

Après une longue douche, il se mit à sa table de travail avec un solide café. Son article sur le covoiturage allait être salé. Pour une fois, les policiers auraient la part belle. Mais les douaniers…

Après une heure de travail, on toqua à la porte. L’homme du commissaire Roche. Le policier mangeait un croissant aux amandes.

– Excusez-moi, je n’ai pas eu le temps de déjeuner.

– Je vous en prie, vous voulez un café ?

– Volontiers

Le policier suivit Perez dans la cuisine. Le journaliste saisit une tasse.

– Sacrée aventure, ce qui vous est arrivé. Ce moine, ce sac plein de billets, le contrôle… Je suis passé voir les douaniers. Ils m’ont tout raconté. Ils en ont après vous, vous savez. Ils sont persuadés que vous êtes de mèche.

– Ne m’en parlez pas ! C’est plutôt moi qui devrais leur en vouloir, dit Perez en versant du café dans une tasse.

– Merci. Du nouveau, depuis hier ?

– Non, répondit le journaliste. Absolument rien.

Le policier but une gorgée.

– Oui, c’est une méprise. Il ne faut pas en vouloir aux douaniers. Ils pensaient bien faire. Je vais prendre votre déposition. Tout ça va se tasser.

– Vous avez une poubelle ? demanda le policier qui tenait le papier de son croissant aux amandes dans les mains.

– Oui, à côté de l’évier.

Au moment où le policier appuya sur la pédale, Perez eut un mauvais pressentiment.